top of page

marseille 

creuset du cinéma

social

De Carpita à Guédiguian, d'Allio à Meylan et des docks à l'Estaque, plongée dans l'histoire d'un cinéma que Marseille a toujours su inspirer.

Photo Robert Terzian

Du Rendez-vous des quais de Paul Carpita (1955) aux Neiges du Kilimandjaro de Robert Guédiguian (2011), de nombreux films tournés à Marseille semblent s’ancrer dans une réalité sociale particulièrement dense. D’autres cinéastes, comme René Allio avec sa Vieille dame indigne en 1965 (l’émancipation d’une veuve de l’Estaque) ou Denis Gheerbrant avec La République Marseille en 2009 (le sort réservé aux habitants délogés de leurs logements par des fonds de pension américains) ont contribué à faire de Marseille le théâtre de luttes sociales plus ou moins frontales. D’où cette image tenace qui colle à la filmographie phocéenne, celle d’un cinéma militant proche des ouvriers et des classes populaires. Ces œuvres ont conduit à faire de Marseille la capitale française du cinéma social. Ce raccourci bienveillant est bien entendu réducteur. Rappelons que les films tournés ici sont à l’image de la diversité des quartiers et de leurs populations. Tout promeneur un peu curieux aura constaté que l’agrégation des fameux villages empêche toute synthèse filmique. L’unité de lieu reste un fantasme que de nombreux films ont tenté de contourner en débutant par un panoramique. Il en est ainsi d’Au soleil de Marseille (Jean-Pierre Ducis, 1938) ou de La Ville est tranquille (Robert Guédiguian, 2000).


C’est finalement davantage dans la tradition des solidarités que s’écrit l’histoire du cinéma marseillais. Jean Renoir, le « patron » a été l’un des premiers à bénéficier de la solidarité de ses pairs pour tourner Toni à Martigues (1935), qui a bénéficié notamment de l’appui bienveillant de Marcel Pagnol. Vingt ans plus tard, la production du Rendez-vous des quais est rendue possible par une chaîne amicale et syndicale. A la fin des années soixante-dix, René Allio crée à Vitrolles le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique, véritable fonds de solidarité qui permettra l’éclosion d’une nouvelle génération de cinéastes. Aujourd’hui, la réalisatrice Bania Medjbar tourne son premier long métrage grâce à une souscription en ligne.


Et quand le scénario n’a pas prévu de donner au film en gestation une couleur sociale, il est vite rattrapé par la réalité urbaine lors du tournage. Justin de Marseille (Maurice Tourneur, 1935) est un pur polar. Il n’en reste pas moins que le film regorge de scènes issues de la vie quotidienne des Marseillais des années trente. Rappelons que de nombreux films sont également l’occasion d’effectuer un voyage intérieur au sein de la ville. A ce titre, L’Heure exquise de René Allio (1981) est l’une des plus belles balades jamais filmées. Ce voyage dans l’enfance et les racines familiales est une ode à la ville et à la pluralité de ses décors et de ses habitants. Ville monde, le cinéma made in Marseille ne saurait se résumer à quelques luttes, fussent-elles téméraires ou inventives. Son imaginaire a la magie scintillante d’un kaléidoscope.

Marseille, capitale du cinéma social ?

Par Vincent Thabourey
auteur et critique de cinéma

Réalisé en 1955 par Paul Carpita, Le Rendez-vous des Quais a marqué son époque. Coup de projecteur sur l’histoire d’un film culte qui a disparu pendant 35 ans.

Marseille, l’après-guerre.

Instituteur communiste, Paul Carpita s’apprête à tourner son premier long-métrage, le Rendez-vous des Quais. Pour ce fils d’un docker et d’une poissonnière, le cinéma est avant tout une passion née très tôt dans son quartier du Panier où s’enracine également son engagement politique. Il réalise des films et fonde avec quelques amis la société Cinépax.

Ses premières images sont des reportages sociaux, et engagés, des témoignages sur la reconstruction de Marseille, des « contre-actualités » qui dénoncent l'injustice et la pauvreté selon ses propres mots. 
Au début des années 50, alors que la guerre d’Indochine fait rage, Carpita filme les premiers mouvements de révolte qui secouent les quais de Marseille. Les Dockers s’opposent radicalement au départ pour l’Indochine des navires bourrés d’armes et de munitions. Ils s’insurgent contre ce « sale boulot » qui les contraint à charger des armes et décharger des cercueils.


Lorsqu’il commence à tourner son Rendez-vous des Quais en 1953, la grande grève bat son plein. Le réalisateur souhaite avant tout faire un film, une fiction sur toile de fond politique avec les personnes qui vivent cette histoire. Il met en scène Robert, jeune docker marseillais, et sa fiancée Marcelle, ouvrière dans une biscuiterie. Désireux de se marier, tous deux cherchent un appartement au moment où la grève paralyse l’activité portuaire de la cité phocéenne.
Loin des parti-pris artistiques conventionnels, Paul Carpita s’adresse alors à des acteurs non-professionnels, des dockers qui parfois vont incarner leur propre rôle, à l’instar de Roger Manunta, l’un des activistes CGT de la grève devenu dans le film le frère de Robert. Soucieux de restituer au plus juste la vie de ces petites gens, leur engagement et détermination dans la lutte contre le colonialisme et l’exploitation dont ils font l’objet, Paul Carpita tourne « à l’arraché », filme au jour le jour, la caméra au poing. Quasi-clandestinement, il improvise une sorte de « tournage-guérilla » à l’insu de la police, pourtant omniprésente sur le port. Sans autorisation, ses prises de vues se font en décors réels, souvent en caméra cachée, avec comme prétexte de faux-reportages (genre "la brandade de morue") et l’aide d’un cordon protecteur de syndicalistes et de militants.
Rien ne sera filmé en studio mais dans le cœur palpitant et populaire de Marseille, sur les docks mais aussi au Vieux-Port, ou encore, pour les scènes de bureau, dans les locaux de la Marseillaise, où Carpita noue de solides amitiés. Et pour le montage de ces images brutes qui mêlent fiction et documentaire, dialogues écrits et scènes de rue, Suzanne de Troye, monteuse attitrée de Marcel Pagnol, apporte sa contribution essentielle.

À peine sorti, déjà interdit


Le film est diffusé en 1955, un an après la fin de la guerre d’Indochine. Le Rex, emblématique cinéma marseillais Rue de Rome, est le théâtre de la première projection. « J’étais présent ce jour là, juste avant qu’il ne se fasse interdire », se souvient Jean-Pierre Daniel, grand témoin du cinéma marseillais et ami fidèle de Paul Carpita.
La projection suivante, organisée pour les familles de dockers à la Belle de Mai le 5 octobre 1955, est fatale au long-métrage. Les autorités saisissent les bobines avant la représentation et les expédient à Paris, aux archives du cinéma français. « Pour Paul, à ce moment là c’en est fini du film. Il est persuadé que la copie est détruite », explique Jean-Pierre Daniel. Cette saisie brutale du film traumatise son réalisateur. Ce n’est pas la quasi-clandestinité du tournage qui est visée. La condamnation est avant tout politique et s’explique en grande partie par le contexte de l’époque agitée par deux guerres coloniales, Indochine et Algérie. Mis au banc pour avoir relaté des actions hostiles à la guerre d’Indochine, le film apparaît comme une menace pour l’ordre public.
Censuré dans l’indifférence la plus générale, Le Rendez-vous des Quais ne suscite peu de contestation de la part du Parti communiste qui avait pourtant soutenu et financé le film, ni même de la presse et encore moins du milieu du septième art. Le Rendez-vous des Quais disparaît alors pendant trois décennies. Une longue période durant laquelle Paul Carpita réalise sept courts-métrages, notamment Rencontre à Varsovie, Marseille sans le Soleil et Graines au vent. 

« Pour un cinéphile, rien de plus excitant qu’un film disparu »
Le vent tourne en 1981, année de l’élection de François Mitterrand. Paul Carpita apprend que son film est exhumé grâce à l’intervention de Jack Lang.
Le ministre de la Culture qui assiste alors à un événement sur la "mémoire ouvrière" à Port-de-Bouc est interpellé par un groupe de dockers qui demande la réhabilitation du film. Dans la foulée, les archives nationales de Bois d’Arcy ressortent les bobines. 
Une étape décisive pour la réhabilitation du Rendez-vous des Quais, suivi en 1988 par la première projection légale à Marseille, soit trente-trois ans après sa sortie ! 
Diffusé dans le parc François Billoux, figure du communisme marseillais, à proximité de la sucrerie Saint-Louis dans le quinzième arrondissement, fief de Pascal Posado, maire communiste, le film est acclamé par les 600 personnes présentes. « Il y a eu 25 minutes d’applaudissements à tout rompre ! », se remémore avec émotion Jean-Pierre Daniel. Un plébiscite qui lance la résurrection triomphale du long-métrage.
Pour Vincent Thabourey, historien du cinéma et directeur des Cinémas du Sud, le mythe prend ses racines dans cette renaissance : « Cette censure a contribué à lui donner une aura. Pour un cinéphile il n’y a rien de plus excitant qu’un film disparu ou censuré ».


Benjamin Ferrari

mémoire

des docks

Près de la Porte 4 du Port de Marseille, d’anciens dockers se souviennent.
Rendez-vous des Quais, le film de Carpita, est un de leurs trésors enfouis... 

« Le travail a changé et en même temps il s'est fait plus rare ; on vient à l'embauche sans être sûr, de plus en plus de mauvaise humeur ; il faut attendre et revenir demain »... Cette phrase prononcée en 1953 par André Abrias, alias Robert Fournier, jeune docker marseillais et héros du Rendez-vous des Quais, le film culte de Paul Carpita, résonne encore à deux pas des quais. Au moment de ce tournage plus ou moins clandestin, le port de Marseille comptait 7000 dockers, et c'est la ville entière qui rayonnait grâce à lui, au-delà de la seule Méditerranée. Eux, les dockers, hommes de l'ombre, formaient alors une aristocratie ouvrière. Ils étaient influents, ils étaient craints.

Aujourd'hui, ils ne sont plus qu'une poignée, survivants d'un âge d'or révolu.

 

Dans le petit local des retraités dockers CGT du chemin du Littoral, face aux grilles qui encerclent le port en direction de la Porte 4, le rituel est immuable. Chaque mardi et vendredi, les anciens ouvriers des quais se retrouvent pour partager un apéro, un repas, une partie de cartes ou de boules mais surtout pour entretenir leurs histoires. Leurs histoires de dockers. Au premier étage, derrière le siège qu’occupe Gaston Deplanque, le « patron » des retraités, les anciens professionnels du Port ont placardé l’immense affiche du Rendez-vous des Quais le film de Paul Carpita, comme l'icône d'un passé révolu. Ce vendredi, ils ont même invité l’un des derniers témoins directs des films du réalisateur-instituteur communiste. Cette fiction profondément ancrée dans la lutte des dockers marseillais reste vivace, symbolique. « Ce combat des années cinquante qui a suivi celui des marins, tous les dockers, jeunes ou vieux, le connaissent. Pour la première fois, les gens ont vu la réalité, la dureté de notre travail et l’engagement des camarades » explique Jo Sinibaldi, ex-secrétaire général des dockers CGT. La lutte, les luttes, voilà le ciment indestructible de ces hommes qui s’appellent volontiers frères. Ils ont souffert ensemble, gagné et perdu des combats mais restent solidaires « à la vie à la mort ». Tout s'est transformé. Métamorphosé. Le métier s’est profondément mécanisé, les sacs ou  les caisses de vrac ne se déchargent plus à dos d’homme depuis longtemps, les conteneurs s’empilent aux pieds des bateaux, mais posséder sa carte G, sésame du travail sur les quais, reste un tatouage.

Un signe identitaire. Supplantés par les paquebots, les cargos et les tankers ont délaissé les quais historiques filmés par Carpita au profit des bassins de Fos-sur-Mer. Aujourd'hui, place aux ferries reliés à la Corse et au Maghreb, et depuis peu aux luxueux navires de croisière. « Ces bateaux de tourisme sont en train de tuer le métier » s'énervent les vieux complices. « Mais nous sommes restés très solidaires, cela vient de notre passé de combattants » tempère Gilbert Natalini, autre figure historique du syndicalisme portuaire.
Au-delà de la grève longue et dure du début des années 90 qui a éparpillé et mensualisé les quelque mille professionnels dans trois sociétés sur le Port, les dockers se considèrent toujours comme les derniers « travailleurs libres ». Au point d’avoir obtenu à Marseille, toujours de haute lutte, la présence de près de 400 ouvriers disponibles tous les jours à embaucher sur les quais. On n’est plus forcément aujourd’hui docker de père en fils, mais le cœur du métier reste le même. « Il y a un côté individualiste car on trouve notre travail tout seul. Mais c’est aussi être dans le collectif, c’est très important, sinon nous ne serions pas ici aujourd’hui » ajoute Gilbert Natalini, jeune retraité qui a, des années durant, troublé le sommeil de tous les patrons et décideurs du port.
Après une vie rude de boulot et de combats, ils profitent désormais de retrouvailles bien plus calmes, plus joviales, où la bonhomie a pris le pas sur le stress ou la colère. Dans cette tribu d’hommes, Gaston Deplanque a retrouvé ses vieux réflexes et prolonge l'histoire. En réunissant régulièrement les retraités. Ici pour aider une famille en difficulté, là pour collecter des fonds pour l’enterrement d’un « frère ». Devant la porte, autour d’un poisson ou d’une volaille apportés par l’un d’entre eux et qui seront partagés à midi, les anciens traversent la rue et observent les quais d’un regard triste. Ils ont trimé toute leur vie au-delà de ces hautes grilles, mais aujourd’hui l’accès au Port leur est interdit. 

Audrey Bataille et Jérémy Real



 

Proche collaborateur de Paul Carpita et de René Allio, ancien directeur du centre de Fontblanche ou de l'Alhambra, ce fou de ciné est resté ambassadeur de la culture.

Rue Le Pelletier, au coeur de l’Estaque, son quartier. Jean-Pierre Daniel, sourire aux lèvres, attend devant la porte de sa maison. Ami de Paul Carpita, collègue de René Allio et fin connaisseur de l’oeuvre de Robert Guédiguian, il est témoin privilégié du cinéma marseillais. L’idée de se replonger dans les riches heures de sa carrière bien remplie le comble de plaisir. 

Cinéaste, éducateur, militant ? Jean-Pierre Daniel est tout cela à la fois. Au coeur de tout son parcours, une seule passion : le cinéma. Tout commence au Lycée Marseilleveyre, un établissement pilote où, dans les années cinquante, on éveille les élèves au monde de l’art. « J’étais particulièrement sensible à cet enseignement et puis un jour mon prof de Français a glissé une caméra au milieu ». Georges Rouveyre, passionné de théâtre et de cinéma, est ce genre d’enseignant qui peut forger des destins. Soixante ans plus tard, sa photo est toujours là, épinglée bien en vue près de son bureau parmi les souvenirs de toute une vie. 

Il n’a que 16 ans lorsqu’il croise Paul Carpita en 1955, et cette rencontre reste indélébile. « Nous étions dans un train à destination de Varsovie pour le festival mondial de la jeunesse communiste. Paul m’a parlé du film qu’il faisait, ça m’a tout de suite passionné ».  Ce film, Le Rendez-vous des Quais, va rythmer leur amitié. Censuré, il disparaît dès sa sortie et Jean-Pierre Daniel, alors directeur de l’Alhambra, lui offrira une nouvelle vie en 1981. « Pendant des années, on a entendu des rumeurs sur le film de Paul. Parfois, il me disait « il parait qu’il a été projeté à Moscou ou à Berlin », jusqu’à ce qu’on remette enfin la main sur les bobines », se souvient-il. 
 

L'Estaque, son quartier

« J’ai choisi d’être éducateur
et de transmettre »


Bac en poche, il est temps de quitter Marseille pour la première mais dernière fois de sa vie. Direction Paris pour se former aux métiers du cinéma. Il intègre la prestigieuse IDHEC, aujourd’hui la Fémis. Diplômé en 1962, il préfère accepter un travail au ministère de la Jeunesse et des Sports. « J’ai choisi d’être éducateur, je ne voulais pas de ce cinéma commercial », assume-t-il. Jean-Pierre Daniel ne regrettera jamais ce choix. Il lui permettra même de vivre « l’aventure la plus particulière » de sa vie. À la fin des années 60, on lui propose de terminer le montage d’un documentaire de Fernand Deligny. Cet écrivain, psychologue et surtout pionnier de l’éducation spécialisée, vient de terminer un film sur les enfants autistes auxquels il a consacré sa vie dans les Cévennes. Le moindre geste sort en 1971 et fait l’unanimité des critiques. « C’était un projet incroyable qui nous a propulsés sur les marches du Festival de Cannes », raconte-t-il fièrement en se redressant dans son fauteuil. 

Il n’a que 16 ans lorsqu’il croise Paul Carpita en 1955, et cette rencontre reste indélébile. « Nous étions dans un train à destination de Varsovie pour le festival mondial de la jeunesse communiste. Paul m’a parlé du film qu’il faisait, ça m’a tout de suite passionné ».  Ce film, Le Rendez-vous des Quais, va rythmer leur amitié. Censuré, il disparaît dès sa sortie et Jean-Pierre Daniel, alors directeur de l’Alhambra, lui offrira une nouvelle vie en 1981. « Pendant des années, on a entendu des rumeurs sur le film de Paul. Parfois, il me disait « il parait qu’il a été projeté à Moscou ou à Berlin », jusqu’à ce qu’on remette enfin la main sur les bobines », se souvient-il. 
 

« L’Alhambra, ma plus grande fierté 

En 1977, nouvelle rencontre décisive. Le réalisateur René Allio veut développer à Marseille un véritable lieu de diffusion et de production pour le cinéma. Il se tourne tout naturellement vers Jean-Pierre Daniel pour concrétiser son projet. Le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique de Fontblanche naît de cette collaboration en 1979. Co-directeur du centre, il accompagne et stimule les jeunes cinéastes de la région. « C’était important de développer le cinéma local et cela m’a aussi offert le privilège de travailler de près sur les films de René », se félicite-t-il. En 1988, il lâche les rênes du CMCC lorsqu’on lui propose de reprendre l’Alhambra. Ce petit cinéma de quartier à l’Estaque n’avait pas résisté à l’arrivée de la télévision et des multi-salles. Toujours guidé par sa vocation d’éducateur, il décide d’en faire un foyer culturel accessible à tous. « L’Alhambra ne pouvait exister que s’il était éducatif et qu’il s’adressait aux enfants, c’est la raison d’être d’un lieu culturel » assure-t-il avec la même conviction. Il n’est plus son directeur depuis huit ans mais la salle poursuit sa mission : véritable poumon culturel du seizième arrondissement, elle accueille encore chaque année des milliers d’enfants des quartiers Nord. « L’aventure de l’Alhambra est sans doute ma plus grande fierté », reconnaît-il avec nostalgie.
Aujourd’hui, à 78 ans, il refuse de parler de retraite, lui qui affirme n’avoir « jamais vraiment travaillé ». « J’ai eu la chance de toujours choisir et faire ce que j’aime tout au long de ma vie, c’est un luxe de moins en moins courant ». Moins engagé dans le monde du cinéma ou de la politique, il continue de « militer activement pour la culture des gens ». Fidèle à ses repères, toujours décidé à rendre un peu de ce qui lui a été offert (grâce au cinéma), il reste engagé depuis 2012 dans un collectif national pour défendre l’éducation artistique. Solidaire et généreux. Le fil de sa vie.


Valentin Althuser

Avec La Vieille Dame Indigne (1965), Allio, grand réalisateur méconnu, a renoué tard avec ses deux passions : le cinéma et Marseille. 

Est-ce sa discrétion, sa pudeur, sa modestie ? Le Marseillais René Allio (1924-1995), réalisateur singulier, resté culte pour certains, est aujourd'hui quasiment tombé dans l'oubli. Injustice.

Ce conteur libre et sensible, porte-parole des gens de peu, était un artiste éclectique, cultivé, ouvert aux vents du monde qui, parti jeune de son nid marseillais, s'imposa d'abord, lui le peintre amateur, comme un des grands décorateurs de théâtre de son temps. Entre Comédie Française à Paris, la Scala de Milan ou le Metropolitan Opera de New-York. Sans lui, homme de l'ombre, le grand metteur en scène Roger Planchon n'aurait pas imposé avec la même force son célèbre Théâtre National Populaire de Villeurbanne. 
René Allio aurait pu suivre en douceur cette voie royale mais, à l'approche de la quarantaine, il ose prendre son envol et renoue avec les deux passions de sa vie : le cinéma et Marseille. Coup d'essai, coup de maître : La Vieille Dame Indigne (1965) célèbre à la fois sa chère ville natale et rend hommage à une grand-mère modeste qui décide avec humour et panache de briser tous les carcans. Un film émouvant et provoquant qui est un acte de libération. Une reconquête. Allio le doux et discret peintre-décorateur s'impose comme un cinéaste tombé du ciel, proche des petites gens, ce monde oublié dont il est issu, et qui échappe aux courants et chapelles alors en cours. On retrouve bien dans son récit tendre et corrosif les accents du néo-réalisme italien mais rien ne semble le rapprocher de la Nouvelle Vague alors triomphante. Il a son style à lui, son regard bienveillant, sa douce ironie. Et Marseille est sa source d'inspiration.
En tournage, Allio reste doux et discret, presque timide, à contre-courant des pratiques de ses pairs qui assument leur rôle de « directeur d'acteurs ». « Il a choisi nombre de ses acteurs parmi les comédiens de théâtre et c'était l'un des premiers à tenter l'expérience » se souvient Christiane Rorato, sa costumière, qu'il fit jouer plusieurs fois, notamment aux côtés de Simone Signoret dans Rude journée pour la reine. Allio dirige peu, ou alors d'une voix douce. Il préfère suggérer. Imposer, il ne sait pas.

« Il est impossible d'évoquer mon père sans comprendre l'histoire de notre nom » prévient d'emblée Paul Allio, son fils comédien installé à Marseille. Il y a eu le premier Allio, le grand-père, venu des montagnes du Piémont construire les voies du chemin de fer comme journalier avant de s'installer à l'Estaque. Le père de René, lui, naît à la Belle-de-Mai, là où les « babis », surnom des immigrés italiens, annonçaient « les racailles » d'aujourd'hui. C'est toute cette mémoire familiale, ancrée à Marseille, qui sera retranscrite à l'écran par le cinéaste. Berthe Bertini, la Vieille Dame Indigne, est certes inspirée d'une nouvelle de Bertolt Brecht. Mais Berthe, c'est d'abord la grand-mère du cinéaste, son fils est formel. Et jusqu'à L'heure Exquise, son film-poème nostalgique de 1981, René Allio n'aura de cesse d'évoquer avec une infinie tendresse toute cette humanité fragile et digne propre aux siens. Il est l'un d'eux, il en est fier. Il s'exprime en leur nom. L'heure Exquise, d'abord intitulé Autoportrait d'une banlieue marseillaise, est, selon les mots de Vincent Thabourey, auteur de « Marseille mise en scènes », un « documentaire subtil qui a su capter la charge émotionnelle des quartiers populaires ».

Capter la charge

émotionnelle des quartiers 

« Mon père a filmé les gens d'en bas sans rien calculer, ils étaient simplement ses héros intimes » prolonge Paul Allio. Depuis 1958, il note tout ce qu'il fait, tout ce qu'il pense dans des carnets et ne cesse de revenir sur Marseille et son peuple ouvrier. Il filmera aussi loin d'ici, pour des récits forts, eux aussi singuliers, tels Les Camisards (1972), ou Moi, Pierre Rivière... (1976) mais, même à distance, ne lâchera plus le lien qu'il a su renouer avec son port d'origine. Déjà militant de la décentralisation avec Roger Planchon à Villeurbanne, il s'implique corps et âme en 1979 dans la création du CMCC, le Centre Méditerranéen de Création Cinématographique de Fontblanche. 
« Ce qui me tente le plus en ce moment, c'est de regagner la province, y planter mon travail, s'éloigner du "centre artistique", travailler près des hommes, au jour le jour, porter témoignage, participer à ma façon, avec mon travail artistique, à la vie d'une collectivité, travailler pour elle » note-t-il alors dans son carnet. Selon ses voeux, la belle bastide de Vitrolles devient à la fois un carrefour d'échange et un point d'appui à la création de la région. Histoire d'Adrien de Jean-Pierre Denis (1980), Montreur d'Ours de Jean Fléchet (1983) ou Rouge Midi de Robert Guédiguian (1984) verront notamment le jour grâce à Fontblanche. Mais cette année-là, la sortie de son film Matelot 512 est un désastre financier et le CMCC n'y survivra pas.
L'échec est cruel mais René Allio ne renie rien et restera en phase avec sa ville. Dans une note de travail à propos de Transit, son dernier film diffusé en 1991, il écrit noir sur blanc la force de cet amour pour sa ville, sa source, celle qui a vu grandir ses proches, celle où il est devenu cinéaste. « Depuis plus de deux millénaires et demi, dans le foisonnement de sa vie quotidienne, Marseille accumule et recommence tant d'histoires vraies, tissées par tant de trajets, de menus faits, de gestes, de bonheur ou de drames, un réseau de destinées si inextricable où comptent tant de lieux, de choses et d'instants, qu'elle défie la fiction ». 
René Allio a trouvé sa clé : Marseille, la ville où s'est enracinée sa famille, est bien le décor de sa vie.


Anthony Amarantinis et 
Quentin Malapert

Cinquante ans après le tournage du grand film de René Allio, l'odyssée marseillaise de Berthe Bertini n'a laissé que quelques signes fragiles.

Le voyage a pour vocation de nous emmener dans des lieux lointains ou étrangers. Parfois, l'ailleurs est à deux pas de chez nous. En 1965, René Allio trouvait le succès en filmant le périple de Marseille à Marseille de Berthe Bertini dans son film « La vieille dame indigne ». Douze kilomètres peuvent changer une vie. L’Estaque est son village, monde clos depuis toujours, le Vieux-Port et le centre proche ont la couleur et la force des mers du sud. « Avec du recul, c’est vrai que c’est ridicule d’appeler ça un voyage ! » s’exclame Martin, retraité, qui, c'est rare, se souvient encore du film. « Mais bon, à l’Estaque on se sent hors de la ville, donc ça se comprend ».
Pour Berthe, justement, les quais historiques, si loin, si proches, symbolisent la ville, la modernité, la jeunesse. Toute cette vie dont elle a rêvé dans son nid, L'Estaque, où le temps s'est figé. Où quasiment rien n'a changé. Sa petite maison du long et tortueux chemin de la Nerthe, volets verts, barrière métallique, a seulement vieilli et la terrasse des Bertini est désormais partagée avec une autre maison construite à flanc de colline. Seules une table et des chaises de jardin neuves viennent briser cette vision du passé. Martine y habite depuis une vingtaine d’années, sans avoir jamais entendu parler du film : « Je ne connais ni René Allio ni La vieille dame indigne ; je n'aurais jamais imaginé vivre dans un ancien décor de film » s'amuse-t-elle.
Au pied du petit escalier en pierres qui mène à la terrasse, on peut reconnaître l’emplacement où Berthe, 50 ans plus tôt, garait sa petite deux-chevaux pimpante, prête à partir vers l'inconnu avec ses nouveaux amis.
Ici, à l’Estaque, plus d’un demi siècle après que René Allio y ait promené ses caméras, l’architecture est révélatrice des évolutions sociales. Les villas luxueuses qui s’alignent face à la mer jouxtent celles, plus modestes, qui se serrent vers l'intérieur. Elles rappellent que ce quartier aujourd'hui à la mode était celui des classes populaires, dont Berthe faisait partie, et qu’il a résonné des cris de joie et de révolte des ouvriers. Ce petit coin du 16ème arrondissement, blotti entre mer et roche, est toujours un village à l’abri des rumeurs de la ville. 
Plusieurs petites allées, dominées par les arceaux du pont tout proche, prennent la tangente en direction du littoral et forment un lacis de ruelles où résonnent les mots de René Allio dans son documentaire « L’heure exquise » : « Si toute ville est un labyrinthe, Marseille est la ville par excellence ».
A l'autre bout de la rade, l'autre monde. Berthe s'empresse de rejoindre le Vieux-Port dès qu'elle en a l'occasion. Loin de son fief et de ses routines, elle revit, retrouve une seconde jeunesse. Ce coeur palpitant de la ville, c’est son archipel lointain, à la fois destination paradisiaque et objet de curiosité. Le port fameux, bourdonnant d’activité, « illustre sur tous les parallèles » que décrivait Albert Londres dans « Marseille, porte du sud », est une terre inconnue et ludique pour cette exploratrice d’un genre nouveau. Ici, elle peut flâner à loisir, se gaver de glace avec des airs de gamine ou se perdre dans les travées des galeries Lafayette, à lui seul temple de la modernité, où elle découvre, médusée, son premier robot ménager.
Les galeries Lafayette sont toujours là, temple un peu fané, et où personne ne se souvient de la vieille dame. Frédéric Montaud, le directeur, ne sait même pas qu'un film célèbre a été tourné dans ses murs.
Hors du temps, hors de la société, la Vieille Dame indigne s'est évanouie. Plus personne ou presque ne se souvient de Berthe et de son aventure exotique. Durant ses derniers mois, celle qui n'avait connu que la vie de village choisira de brûler librement le peu encore offert plutôt que de s'éteindre à petit feu. De L'Estaque au Vieux-Port. De Marseille à Marseille. Un fabuleux voyage...

Julien Ronca et Vincent Veillon

"le peuple

mon héros"

De Dernier Été en 1980 jusqu’à La Villa dont il termine le montage, le cinéaste de l'Estaque est resté fidèle à ses valeurs.

Artiste engagé, il refuse pourtant l'étiquette de réalisateur social.

« Je fais du cinéma tout court. Je pense que tout autre qualificatif est en fait un disqualificatif. » Robert Guédiguian ne s’en cache pas, pour lui le cinéma social n’a pas lieu d’être. Pire, cette appellation lui semble réductrice pour tous ceux qui ont hérité de cette étiquette, comme le réalisateur britannique Ken Loach par exemple. « C’est d’abord et avant tout un grand cinéaste. Il ne se préoccupe pas seulement de questions sociales. Son cinéma parle d’amour, de vie, de mort, du vieillissement, de la maladie… ». Natif de l’Estaque où il a grandi, le réalisateur de 62 ans a rapidement imposé sa vision lucide mais optimiste du monde. C’est d’ailleurs ce qu’il tente de retranscrire au travers de ses oeuvres. Il ne veut pas être réduit à un simple réalisateur de province, malgré son accent bien marqué, « Pour mon premier film, Dernier Été, tous m’ont rangé dans la catégorie du cinéma régional. J’ai répondu avec humour que c’était du cinéma de quartier. Je ne fais ni du cinéma social, ni du cinéma marseillais. Je fais du cinéma. »

« Si j’ai cent figurants, je les connais tous par leur prénom »


Fils de docker, Robert Guédiguian a toujours cherché à mettre en lumière ceux dont on ne parle jamais. Ces travailleurs de l’ombre qui n’ont jamais droit à leur quart d’heure de gloire. « Le dénominateur commun de mes films est de donner le rôle principal à des pauvres gens. Parce que dans le cinéma en général, le peuple fait office de figuration. Il est toujours au fond de l’écran, derrière le personnage principal et il est flou. Moi dans tous mes films, j’ai toujours essayé d’héroïser le peuple. » Guédiguian a rendu sa carte du PCF il y a plus de 25 ans mais il reste malgré tout quelqu’un d’engagé. À la manière d’un Paul Carpita, réalisateur du Rendez-vous des Quais, il laisse souvent, malgré lui, le militant  empiéter sur ses choix de réalisateur. « Théoriquement, le cinéma reste toujours prioritaire. Mais je ne peux pas sacrifier un contenu ou une idée si je veux absolument en parler. Il y a quelques séquences dans mes films où je ne suis pas arrivé à trouver la forme adéquate, la bonne mise en scène. » Robert Guédiguian se souvient par exemple du personnage du bourgeois dans son film La Ville est Tranquille en 2000 qu’il trouve trop caricatural, « Il n’a pas la même fluidité que tous les autres. Je m’en suis rendu compte au montage et j’aurais pu le retirer, mais je voulais absolument garder le contenu de ce qu’il disait. »
Pour diffuser et partager sa vision du cinéma, Guédiguian s’est rapproché d’acteurs de confiance. D’abord de sa femme, Ariane Ascaride, qu’il rencontre lors de ses études de sociologie à la faculté d’Aix-en-Provence. Plus tard il fait appel à deux poids lourds du cinéma français : Jean-Pierre Darroussin et son ami d’enfance Gérard Meylan, alors infirmier. « Mes acteurs sont souvent des amis ou des proches. Particulièrement au début quand je ne savais pas vraiment où j’allais, on pouvait retrouver mon père ou ma tante. Si j’ai cent figurants, je les connais tous par leur prénom. C’est ce rapport à l’incarnation que j’ai toujours recherché et que j’ai emprunté à Pasolini ou Scorsese. » Cette fidélité à sa « tribu » le renvoie à Paul Carpita, qui a toujours aimé tourner avec des proches, le plus souvent amateurs. Il en va de même pour René Allio, avec qui Guédiguian entretenait de très bons rapports. « Allio était un cinéaste très important. À la fin de sa vie, il était très fatigué et ne roulait pas sur l’or. J’ai fait en sorte qu’il y ait une soirée thématique pour lui sur Arte et c’est là que j’ai produit son dernier film Marseille ou La Vieille Ville Indigne, en hommage à son premier long-métrage. »

« Moi je voulais être 
universitaire, un intellectuel communiste »


Après 37 ans de carrière et deux prix remportés pour son film Les Neiges du Kilimandjaro en 2011, Robert Guédiguian se déclare heureux et chanceux du déroulement de cette carrière inattendue. « C’est arrivé par hasard, comme souvent dans la vie. J’avais 22 ans quand j’ai assisté à une projection privée de René Féret à Paris. J’étais sidéré d’admiration et il m’a proposé d’écrire avec lui son prochain film alors que je ne connaissais rien au milieu. » Le début d’une carrière réussie que le réalisateur était loin de s’imaginer. 
« Moi je voulais être universitaire, intellectuel communiste. Mais grâce au cinéma je n’étais pas tout seul et je suis un peu devenu le porte-parole de cette classe ouvrière. »
Aujourd’hui installé à Paris, Robert Guédiguian n’oublie pas pour autant la ville de son enfance. Son prochain film, La Villa, qui sortira en novembre 2017, se déroule à Marseille comme 8 de ses 20 réalisations. « J’ai toujours vécu à Marseille même sans y être forcément installé. J’y suis très souvent revenu, que ce soit quand j’étais étudiant, pour préparer les tournages ou pour voir ma mère. C’est important de venir voir sa mère. » Malgré son amour pour la ville, Guédiguian ne compte pas s’y installer pour l’instant. D’après lui, les infrastructures de cinéma ne sont pas assez développées. « Allio n’a jamais vécu à Marseille pour y tourner ses films et Carpita était instituteur avant d’être un réalisateur. Si vous voulez rencontrer tous les jours des interlocuteurs financiers, des techniciens, des acteurs, des scénaristes… aujourd’hui 90% d’entre eux sont à Paris. » Robert Guédiguian assume ses choix en homme libre, sans langue de bois, et peint le tableau de ces anti-héros que d’autres n’évoquent même pas avec sa poésie, son regard, sa langue bien à lui. Une évidence pour cet artiste engagé, dont la seule arme est sa caméra. Il avait des repères forts, il n'en a perdu aucun. Fidélité, voilà un mot qui lui convient. « J’ai voulu être un intellectuel lié aux pauvres gens et j’ai continué à faire cela au cinéma. Je suis un cinéaste qui a été un porte- parole du monde dont je suis issu. »


Camilia Elfkir et Vincent Volume

Meylan

gueule d'estaque

Enfant de l’Estaque, Gérard Meylan a rangé sa blouse d’infirmier pour se consacrer au cinéma. Entre engagement et amitié comblée avec le réalisateur Robert Guédiguian dont il est l’acteur fétiche, il incarne le cinéma social marseillais.

Chemise blanche ouverte, veste en velours couleur camel, il est arrivé à pied, comme venu de nulle part. Il y a deux jours, Gérard Meylan, l’acteur fétiche de Robert Guédiguian, tournait pour la série télévisée Marseille. Simple et accessible, il nous emmène en chantonnant dans les rues étroites de l’Estaque, son quartier, son fief. Place de l’église, près de la rue Jumelles, il contemple les toits de tuiles et la mer qui resplendit. Son point de vue préféré. Un peu plus tard au bar de la Rade, son quartier général, des habitués l’interpellent gaiement. « Salut Robert ! Non, c’est pas Guédiguian, c’est Gérard Meylan ! Elle est où Jeannette ? ». Vieux rituel. Marius et Jeannette, c’est le film qui a rendu célèbre Robert Guédiguian, et propulsé Gérard en 1997. Depuis, l’acteur n’a pas changé, le rôle de Marius lui colle encore à la peau, avec juste quelques cheveux blancs en plus. 


Sa simplicité, Gérard Meylan la doit entre autres à son métier d’infirmier. Il n’a pas eu à choisir entre infirmier et acteur, il a simplement basculé vers le cinéma à la fin de son contrat à l’hôpital. « En tant qu’infirmier, je gagnais 2600 euros par mois, ce que je gagne aujourd'hui par jour de tournage, j’ai été tenté d’arrêter. Mais ce métier m’a aidé à garder les pieds sur terre. » L’infirmier qu’il était, aux antipodes du cinéma, lui a permis d’incarner ses personnages. « Ce métier m’a aidé à transgresser la vérité. A l’hôpital, il y a une charge émotionnelle très importante que j’ai utilisée dans les rôles que Robert me proposait », explique-t-il. C’est avec son ami et réalisateur que Gérard Meylan a tout appris. « La force des films de Robert, c’est celle d’arriver à rendre un texte si naturel qu’on a l’impression que ce n’est même pas un dialogue ».

Robert Guédiguian : entre 
amitié et admiration


Gérard a connu Robert Guédiguian sur les bancs de l’école. Ils ont tourné 18 films ensemble, toujours avec les mêmes acteurs. Avec Ariane Ascaride, la femme de Robert, et Jean-Pierre Darroussin, ils forment le trio d’acteurs dont Guédiguian ne se sépare plus. Pour Gérard Meylan, c’est un réalisateur unique en son genre.
« Il se sert de nos corps pour montrer le temps qui passe. C’est un des seuls réalisateurs qui peut faire de vrais flashbacks, et c’est extrêmement impressionnant. Il y a un côté magique ». Leur premier film, Dernier été, est sorti en 1980. Pour ce tournage, tout s’est fait naturellement. Un simple coup de fil a suffi pour qu’ils se retrouvent quelques mois après à l’Estaque. « On a tout appris sur Dernier été. On ne jouait pas, on vivait, même si tout était écrit » se souvient-il.

Cinéma social et

engagement politique

Depuis, tout s’est enchaîné. « Tous les personnages qu’on interprète, Robert les a écrits pour nous. Après tout ce temps, il ne nous dirige plus ! », ajoute l’acteur. « Je n’ai jamais appris à jouer, je suis ce qu’on appelle un acteur d’instinct. D’ailleurs, chaque fois que j’ai essayé de donner vie à un personnage, je l’ai aimé ».
Marius et Jeannette, qualifié de “conte de l’Estaque”, est le film emblématique du cinéma social à Marseille. Gérard reste le Marius du film, il est ancré en lui. « Dans Marius et Jeannette, les personnages sont romanesques, et tout le monde peut s'identifier à eux. Plus social que ce film, il n’y a pas ! Mais le social ne doit pas être un genre, il doit être inclus », explique Gérard. Plus qu’un film social c’est un film engagé. 
Amis au cinéma, Robert et Gérard partagent aussi leurs convictions. « Avec Robert, on a été à l’origine de la fondation des jeunesses communistes à l’Estaque » précise-t-il. Robert Guédiguian a quitté le parti communiste dans les années 80 mais Gérard Meylan reste militant dans l’âme. Toujours accoudé à sa table du bar de la Rade, dès qu’il se met à parler politique, un cercle se forme spontanément autour de lui et l’écoute avec attention. Au cinéma, le duo n’est pourtant pas prêt de s'éteindre. Les deux amis viennent de terminer le tournage de La Villa qui sortira en octobre prochain. C'est une fois encore un film engagé, encore un hommage aux sans-grades, aux oubliés, cette fois les réfugiés. Nouveau chapitre d'une longue traversée commune, dernier épisode d'un récit cohérent. « Ses films me ressemblent et ses personnages sont très proches de ce que je suis » constate-t-il.
Il nous a offert deux heures de son temps, comme ça, en toute simplicité, avec générosité. Puis il est reparti discrètement comme il était venu pour rejoindre sa maison dans le quartier qu'il n'a jamais quitté. L'Estaque où il est devenu Marius.


Flora Lefèvre et Ambrine Ziani

l'estaque

un décor

à ciel ouvert

De Renoir à Guédiguian, de la peinture au cinéma, l’Estaque a fasciné les artistes. Plus qu’un simple lieu touristique, le quartier est une source d’inspiration.  
« L’Estaque est le plus beau paysage du monde. » Dès les années 1880, Auguste Renoir a donné le ton. Après lui Cézanne puis Braque lui ont succédé pour immortaliser ce village-quartier à la pointe ouest de Marseille, coincé entre mer et colline. 
Un rapide coup d’œil suffit. Le viaduc, les maisons serrées les unes contre les autres saisis par le pinceau de Georges Braque il y a un siècle sont encore visibles aujourd’hui, immédiatement reconnaissables. Ce côté repaire d’artistes colle toujours autant à la peau de l’Estaque. Désormais, plus besoin de pinceaux. Une pellicule et une caméra permettent de peindre le réel. 
Au temps de la Grande Guerre, l’Estaque entame sa mue et devient l’un des poumons ouvriers de la ville. De nouvelles industries naissent, comme les tuileries, les usines de minerai ou les chantiers navals. De nombreux travailleurs étrangers arrivent ici, créant une mixité sociale typiquement marseillaise : Italiens, Espagnols, Kabyles… Ces vagues d’immigration rebaptisent grand nombre de rues ou de traverses et bouleversent la démographie du quartier.
« L’Estaque est un village relié à la ville, on peut y développer un imaginaire coupé du réel, » explique Vincent Thabourey, écrivain et directeur des Cinémas du Sud. Cela explique le fait que l’Estaque attire autant de cinéastes. Robert Guédiguian naît au milieu de ces « pauvres gens » de l’Estaque, selon ses mots, et grandit dans les rues escarpées du quartier. C’est donc naturellement qu’il fait de l’Estaque le décor humain et naturel idéal. Il y a tourné quatorze de ses films.
C’est là aussi, entre l’usine désaffectée du Rio-Tinto, l’ancien port de pêche et l’ancienne tuilerie que Robert Guédiguian déniche des « gueules » comme son ami d’enfance Gérard Meylan. Lui aussi est un enfant de l’Estaque, comme Francine, aujourd’hui petite mamie pimpante de 77 ans, hier figurante dans Dernier Été, premier film de Robert Guédiguian : « Je me suis retrouvée dans le film par hasard, une amie à moi allait faire figurante et j’ai tourné une scène avec elle. C’est un très bon souvenir. »
Avant lui, René Allio a tourné ici La Vieille Dame Indigne en 1965. Dans ce film côté colline, c’est à travers le tortueux Chemin de la Nerthe que l’on découvre le quartier. Plus de cinquante ans plus tard, seule la maison de Berthe Bertini est toujours là, au 40 Chemin de la Nerthe. 
Au final que reste-t-il de l’Estaque de Renoir ? Le bord de mer est pris d’assaut tous les week-ends par des bobos en quête de panisses et les vieux tapent la boule sous les platanes du port. Mais certains jeunes talents s’installent et prennent leurs pinceaux sur le quai délabré pour prolonger une tradition artistique centenaire.


Maxime Matesi et Aurelien Attard

les films du soleil éblouissent marseille

Cette société de production est un haut lieu de l’audiovisuel marseillais. Depuis des décennies, la famille Hubinet réveille beaucoup de projets, de la fiction au documentaire, en passant par le cinéma d’actualité.

Le soleil, ici chez lui, éclaire déjà la devanture des « Films du Soleil » en début de matinée. Des pellicules et des claps de fin sont dessinés à la bombe sur le mur de l’entrée du bâtiment de l’avenue de Saint Barnabé et la double porte d'entrée s’ouvre sur un escalier qui mène aux différentes salles de visionnage. Dans l'une d’elles constellée d’écrans, Jacques Hubinet tout sourire, plonge dans le récit de sa vie consacrée à l'image. En 1952, son père Jean Hubinet fonde « Les Films du Soleil », société de production où il travaille en tant qu’opérateur d’actualité de cinéma. En France, ces précurseurs ne sont que 25. C’est l’époque de l’avant-télévision, où les actualités sont projetées en salle, en prélude des films. A la mort de son père, Jacques n'a que 18 ans et reprend les rênes de la société. « Mon père m’avait appris son métier passionnant que très peu de gens connaissaient. J’ai arrêté mes études de maths et j’ai continué ce qu'il avait commencé » . 
De projets en projets, Jacques s’est dissocié de l’actualité. Ainsi, les premiers pas des « Films du Soleil » dans le cinéma social sont incarnés par la réalisation de films pour E.D.F, notamment sur la centrale de Cruas où les travailleurs vivaient dans des conditions très difficiles. « Nous avons montré les gens au travail et leur détresse. C'était, bien sûr,  une forme d'engagement de notre part ». A ses côtés, Patricia est aussi impliquée que son mari. « On essaye d'accompagner ces gens qui donnent la parole à ceux qui ne l'ont pas. Marseille est une plaque cosmopolite de gens qui s'y sont réfugiés, il y a beaucoup d'histoires à raconter et notre but est de les aider à y arriver. On partage et on apporte nos moyens techniques ». A eux deux, ces militants culturels incarnent l'esprit du cinéma marseillais. Présents depuis les années 60, vraie charnière entre présent et passé, ils ont entretenu la flamme de ce cinéma engagé et cultivé son sens de la solidarité. Au milieu des bobines, patrimoine d'un journalisme créatif, « Les Films du Soleil » participent à la préservation et au renouvellement d'un audiovisuel social où l'engagement et la camaraderie restent des repères. Bruno, documentaliste maison, jubile de vivre tout cela de l'intérieur. « L'héritage des cinéastes actuels, c'est l'indépendance. Associée au communisme, notamment avec Paul Carpita, elle est encore clairement revendiquée ». 

« Marseille est un bouillon
de culture »


Et naturellement, lorsque Paul Carpita, réalisateur du Rendez-vous des Quais, ressort son film en 1988, Patricia et Jacques le co-produisent. Avec ce « rendez-vous », le cinéaste devient précurseur d'un cinéma « bricolo-engagé », qui non seulement décrit le monde ouvrier et le contexte politique, mais bénéficie de solidarité et d'entraide. Vincent Thabourey, historien du cinéma, décrit ce phénomène propre à Marseille. « C'est une ville qui a très peu de moyens et qui vous oblige à bricoler. Il y a une solidarité entre tous. Elle est ancienne, Marcel Pagnol aidait déjà Jean Renoir à tourner Toni à Martigues. » 
Dans cette mécanique d'entraide, « Les Films du Soleil » ont une place centrale. L'idée de tribu ou de famille portée par la même passion, prête à tout imaginer, à tout partager, pour imposer un projet, reste une marque originale. « Des gens engagés continuent de se battre pour arriver à montrer le Marseille d'aujourd'hui. Je pense à Caroline Caccavale avec sa Télé des Baumettes ou encore plus récemment à Bania Medjbar et Le crime des anges. »
Les Hubinet entretiennent leurs archives comme un trésor et leur studio de production reste un lieu vital pour la création et la diffusion des documentaires. « Marseille est un bouillon de culture. On peut y tourner mille films différents sans épuiser le sujet ».
Ce patrimoine humain et naturel est entretenu et renouvelé sans cesse par des documentaristes tels que Roland Cottet qui réalise tous ses films près de chez lui avec les gens qui l’entourent. Après plus d'un demi siècle d'existence, l'entreprise familiale « Les Films du Soleil » continue à jouer un rôle clé dans la préservation et la continuité de la mémoire filmée de Marseille. Dès les années trente, le poète Blaise Cendrars avait pressenti l'étrange pouvoir de séduction de la ville : « Elle a l’air bon enfant et rigolarde. Elle est sale et mal foutue. Mais c’est néanmoins une des villes les plus mystérieuses du monde et des plus difficiles à déchiffrer ».  

   
 Danaé Pestel avec Clelia Ripoll et 
Robin Bodet

héritiers du

cinéma social

Des jeunes des cités qui s'amusent à sauter de la corniche et l'adolescente dans sa villa chic qui veut les rejoindre, ou encore un homme qui observe les oiseaux au-dessus d'une déchetterie et aimerait s'échapper de sa vie médiocre à en perdre la notion du bien et du mal… Histoires marseillaises qui mettent en scène des personnages forts, marginalisés. 
« C'est la réalité noire. On appelle ça des 'films de guerilla'. On a une vision humaniste de celui qui est broyé par le système. » Bruno, documentaliste aux Films du Soleil, évoque le Crime des anges de Bania Medjbar. 
Cette réalisatrice originaire des quartiers Nord sait de quoi elle parle. « Ces jeunes des cités ce sont nos frères, nos cousins, nos voisins. Et si, à la place où l'on est, avec la dialectique, la réflexion et l'outil artistique du cinéma on ne parle pas pour eux, qui va le faire ? ». Bania Medjbar se pose en médiatrice de cette génération en rupture. 


Dans la même veine, Chouf de Karim Dridi plonge dans un Marseille 'ghettoïsé'. Les personnages sont interprétés ‘in vivo’ par des jeunes concernés. Avec Dridi, qui humanise les dérapages et les violences, on est embarqué au coeur de l'engrenage infernal de la drogue et du trafic. « C'est la ville elle-même qui, chaque fois, reprend le dessus avec ses réalités sociales très prégnantes. C'est une ville à part dans son rapport avec ses quartiers », insiste l’historien Vincent Thabourey. Marseille inspire les cinéastes, avec toujours une constante : des jeunes en rupture. Mais « quand on leur tend la main, quand on est capable de les regarder, les écouter, de leur faire confiance, ils sont capables du meilleur », affirme Karim Dridi. 


 D.P.

Dominique Cabrera :
« Marseille me touche terriblement » 

Dominique Cabrera, réalisatrice de “Corniche Kennedy” sorti en janvier dernier, souhaitait depuis longtemps faire un film à Marseille. « Il y a dans cette ville, quelque chose qui me touche terriblement. Les Marseillais, leur façon d’être, cette langue poétique populaire pleine d’images et de raisonnement. Puis la ville ouverte sur la mer, sur l’horizon ».

 
Et en cherchant une histoire, l’ancienne prof de Harvard tombe sur le roman de Maylis de Kérangal qui la captive par sa langue très personnelle et poétique, entrecoupée de phrases de la rue. La situation, la mise en scène, la corniche lui parlent et l’idée de tourner un film dans ce décor l’éblouit. « La figure du plongeon, de l’exploit, de l’excellence est magnifique. Filmer ces jeunes sur les rochers, dans l’écrin du ciel et de la mer, dans l’égalité de la plage. »

 

Les jeunes plongeurs issus des quartiers populaires marseillais surmontent leurs peurs et se piquent au jeu. « Ceux que j’ai rencontrés m’ont raconté leurs sensations, leur vision. Ils ont participé à l’écriture du scénario et ont finalement joué dans le film. C'est ce qui m'a permis de faire en sorte que tout cela sonne juste. » Dominique Cabrera a souhaité capter la vie des jeunes des quartiers dans un décor de rêve. Il faut laisser passer la jeunesse, la laisser plonger pour mieux remonter.

 

D.P.

Tous les matins, des écoliers, collégiens et lycéens viennent y voir des films, choisis par une commission nationale. Ils sont plus de 8000 enfants, chaque année, à profiter de ce programme.  

Malgré les difficultés, le seul cinéma d’art et d’essai des quartiers Nord accueille chaque année 8000 élèves et reste un lieu phare de la culture à Marseille. 
Deux retraitées patientent paisiblement au milieu d’un hall, assises sur des fauteuils en cuir, rafistolés par quelques agrafes. Un groupe d’adolescents déboule d’une salle obscure et dévale des marches rouges et feutrées. Nordine, prof de maths au lycée Saint-Exupéry les rappelle à l’ordre. 


Cette scène est quotidienne à l’Alhambra, l’unique cinéma d’art et d’essai des quartiers Nord de Marseille. Tous les matins, des écoliers, collégiens et lycéens viennent y voir des films, choisis par une commission nationale. Ils sont plus de 8000 enfants, chaque année, à profiter de ce programme. Et cela fait presque 30 ans que ça dure. C’est dans les années 90, avec l’aide de Jack Lang, que Jean-Pierre Daniel (voir portrait page III) réhabilite cette salle en déclin de 1928 et la transforme en un lieu éducatif unique. 


Il n’a presque pas changé, depuis que René Allio l’a dévoilé dans les premières minutes de « l’heure exquise », son film intimiste sur Marseille. L’Alhambra, avec ses arabesques et ses courbes jaunes se fond toujours dans le décor. Ici, pas de file d’attente et de machines à soda ou popcorn. Quelques « blockbusters » reçus six semaines après leur sortie « pour faire plaisir aux habitués » côtoient les films d’auteur en version originale. « Les jeunes du coin n’ont qu’une envie, c’est d’aller voir Fast and Furious dans un multiplex du centre-ville et je les comprends, ils ont besoin de sortir de leurs quartiers » explique William Benedetto, le directeur. Pour beaucoup, l’Alhambra est le seul endroit où ils découvrent des films et s’évadent un instant. « Je ne vais jamais au cinéma », explique Daniel, un élève de seconde au lycée Saint-Exupéry. « On vient de voir Timbuktu, j’avoue c’était intéressant. Parce que des fois les films ici c’est nul », commente-t-il en taquinant son professeur. 

L’Alhambra participe aux dispositifs nationaux « école, collège et lycée au cinéma » mais organise également des ateliers, des débats ou des ciné-concerts. « La vocation de ce cinéma a toujours été pédagogique. En fait, il n’y avait pas de demande culturelle de la part des adultes dans ces quartiers » se souvient Jean-Pierre Daniel, son fondateur. Vingt-sept ans plus tard, le pari de créer un cinéma « scolaire » est réussi. « Y’a pas un seul minot du 15ème ou 16ème arrondissement qui y échappe, tous connaissent l’Alhambra », détaille William Benedetto. Mais rien n’est simple. C’est un combat de tous les jours. Pour faire venir certaines écoles, il a même dû financer des transporteurs privés. « C’est quand même dingue, je suis obligé de mettre en place des lignes de bus dans la deuxième ville de France », regrette-t-il. 
Si l’Alhambra assume ce rôle de « Maison des Jeunes », il demeure avant tout lieu de culture d’excellence. Au début des années 90, le célèbre réalisateur Ken Loach est venu ici présenter une rétrospective de son oeuvre, sous la condition de rencontrer Paul Carpita. Artiste engagé, il s’est un soir disputé avec le consul d'Angleterre, présent dans la salle, à propos de Margaret Thatcher. D’autres figures, les réalisateurs Bertrand Tavernier et Agnès Varda, ou encore l’immense acteur Marcelo Mastroianni, se sont assis dans les fauteuils du petit cinéma au nom de palais andalou.

 
Ce n’est pas seulement un lieu de découverte artistique mais un espace de rencontre unique dans ces quartiers difficiles. Rerbal, hôte d’accueil depuis vingt ans, ne le quitterait pour rien au monde. « A chaque événement, j’apprécie cette effervescence et ce mélange indispensables à la vie du cinéma » s’enthousiasme-t-il. Résolument fédérateur, l’Alhambra part aussi à la rencontre de ceux qui ne s’y rendent pas. Chaque été, des projections en plein air sont organisées au sein même des cités. « On y va toujours avec prudence, mais on y va. Selon moi, il est bien plus utile de faire vivre ces expériences aux jeunes que de leur faire la leçon », explique William Benedetto, très impliqué et bien intégré au sein de ces quartiers. Fils d'un grand homme de théâtre et arrivé ici un peu par hasard, il prend son rôle très à coeur. Il se définit même comme le curé du coin, définitivement « tout terrain ». Son seul souhait : que sa « paroisse » soit un jour mieux desservie et soutenue par l’État. Ainsi, il pourrait réaliser son rêve, transformer l’Alhambra en scène nationale de cinéma. 
Natacha Roullet et Rémi Darodes

bottom of page